À l’ère du digital, où les réseaux sociaux et la communication visuelle règnent en maître, les entreprises sont de plus en plus amenées à utiliser l’image de leurs salariés. Que ce soit pour la communication interne via un trombinoscope, un événement d’entreprise, ou pour des actions marketing comme une publicité ou la promotion sur le site web, la tentation est grande de mettre en avant ses collaborateurs. Mais attention, le droit à l’image est un droit fondamental qui s’applique aussi au travail ! Avant de publier la photo d’un salarié, mieux vaut bien connaître les règles et obtenir son consentement écrit. Décryptage de ce sujet sensible pour éviter tout litige.
1. Le droit à l’image, un attribut du droit au respect de la vie privée
Le droit à l’image découle directement du droit au respect de la vie privée, un droit fondamental consacré par l’article 9 du Code civil. Chacun a le droit de s’opposer à l’utilisation de son image sans son consentement, dès lors qu’il est identifiable et reconnaissable. Ce droit à l’image s’applique à toute photo ou vidéo où l’on apparaît, quel que soit le contexte.
Si ce droit est en principe absolu pour tout citoyen, il connaît quelques exceptions, notamment lorsque la diffusion de l’image répond à :
- un intérêt légitime d’information (événement d’actualité par exemple)
- une démarche artistique ou culturelle
2. L’employeur doit obtenir le consentement écrit du salarié
La subordination inhérente au contrat de travail ne prive pas le salarié de son droit à l’image. Même pendant son temps de travail, il conserve la maîtrise de l’utilisation de son image. L’employeur ne peut donc pas utiliser la photo d’un employé sans avoir préalablement recueilli son autorisation expresse.
Obtenir l’accord oral du salarié ne suffit pas ! Pour se prémunir en cas de litige, il est vivement recommandé à l’entreprise de formaliser cet accord par écrit. Plusieurs options sont envisageables :
- Une clause spécifique dans le contrat de travail ou un avenant
- Un formulaire dédié d’autorisation de droit à l’image
L’autorisation doit être la plus précise possible. Elle doit mentionner le contexte et l’objectif de l’utilisation de l’image, les supports prévus pour sa diffusion (site web, réseaux sociaux, brochure publicitaire…), la durée pour laquelle l’autorisation est donnée et l’éventuelle rémunération (généralement réservée aux professionnels de l’image).
Sans ce « contrat » de cession de droit à l’image, l’employeur s’expose à devoir retirer la photo litigieuse et à verser des dommages et intérêts à son collaborateur.
3. Les applications concrètes du droit à l’image en entreprise
Examinons les différents cas de figure où l’image du salarié peut être utilisée en entreprise et ce qu’il faut en retenir :
Communication interne : trombinoscope, organigramme, journal interne, intranet…
L’employeur doit s’assurer qu’il a bien le consentement de tous les salariés concernés avant toute diffusion en interne, sous peine de devoir retirer les photos litigieuses.
Communication externe à but non commercial : illustration d’un événement d’entreprise, remise de prix…
Si la photo a une simple visée informative et ne porte pas préjudice au salarié, son autorisation n’est pas requise. Elle sera appréciée si la photo est centrée sur lui.
Communication à des fins publicitaires ou commerciales : site web, brochures, publicités…
L’autorisation expresse du salarié doit impérativement être recueillie par écrit au préalable. En cas d’utilisation non autorisée, les juges accordent des dommages et intérêts proportionnels au préjudice (atteinte à la vie privée, à la réputation, exploitation commerciale…).
Après la rupture du contrat de travail
Le droit à l’image du salarié subsiste même après son départ de l’entreprise. Pour continuer à utiliser son image, un nouvel accord écrit de sa part est nécessaire.
4. Que faire en cas d’utilisation non autorisée de l’image ?
Si un salarié constate que son image est utilisée sans son consentement, plusieurs recours s’offrent à lui :
1️⃣ Demande amiable de retrait : contacter l’employeur (ou tiers) pour demander le retrait de l’image litigieuse. Si la photo a été publiée sur Internet, le salarié peut aussi se prévaloir de son droit à l’oubli.
2️⃣ Saisine du juge en référé : si l’image n’est pas retirée suite à sa demande, le salarié peut engager une action en justice pour obtenir le retrait en urgence. Cette procédure rapide ne nécessite pas d’avocat.
3️⃣ Saisine du juge au fond (Tribunal judiciaire) : en cas d’atteinte avérée à son droit à l’image, le salarié peut demander des dommages et intérêts. Il n’a pas à apporter la preuve d’un préjudice, la seule constatation de l’atteinte au droit à l’image ouvre droit à réparation (Cour de cassation, 19 janvier 2022).
Quelles sanctions en cas de non-respect du droit à l’image des salariés ? ⚖️
Au-delà de l’obligation de retirer l’image litigieuse, l’employeur qui ne respecte pas le droit à l’image de ses salariés risque de lourdes sanctions :
des dommages et intérêts à verser au salarié : le montant est évalué au cas par cas par les juges en fonction du préjudice
jusqu’à 1 an d’emprisonnement et 45 000€ d’amende pour atteinte à la vie privée si la photo a été prise dans un lieu privé
jusqu’à 1 an d’emprisonnement et 15 000€ d’amende pour divulgation sans accord d’une image prise dans un lieu privé
jusqu’à 2 ans d’emprisonnement et 60 000€ d’amende si l’image a un caractère sexuel
L’entreprise a donc tout intérêt à se montrer prudente en matière d’utilisation de l’image de ses collaborateurs. Mieux vaut prévenir que guérir en recueillant leur consentement écrit.
Le bon réflexe : le formulaire d’autorisation de droit à l’image ✍️
Pour se prémunir de tout litige avec ses salariés, l’entreprise a intérêt à systématiser la signature d’un formulaire d’autorisation avant toute utilisation de leur image.
Celui-ci doit être le plus complet possible et préciser :
le contexte dans lequel l’image a été prise (shooting photo, événement…)
l’objectif de l’utilisation de l’image (communication interne/externe, publicité…)
les supports de diffusion envisagés (intranet, site web, réseaux sociaux, brochures…)
la durée de l’autorisation
l’étendue géographique de la diffusion
l’existence ou non d’une rémunération
Ce document pourra être utilement annexé au contrat de travail et archivé dans le dossier personnel du salarié. Il attestera que son consentement éclairé a bien été recueilli et permettra à l’entreprise d’utiliser son image en toute sérénité.
Cas particulier : le droit à l’image des salariés mineurs
Le droit à l’image des mineurs, qu’ils soient salariés ou enfants de salariés, fait l’objet d’une protection renforcée. Toute diffusion de l’image d’un mineur, même dans un contexte professionnel, nécessite de recueillir l’autorisation écrite de ses deux parents ou de son représentant légal.
De plus, si le jeune est le sujet principal de la photo ou vidéo, une déclaration doit être faite à l’inspection du travail. Cette disposition issue de la loi du 19 octobre 2020 vise à encadrer l’activité des enfants influenceurs sur les plateformes en ligne. La déclaration est requise dès lors que la durée de diffusion des images et les revenus générés dépassent certains seuils (à venir par décret).
Le droit à l’image des enfants dans l’entreprise
Certains événements d’entreprise, comme les arbres de Noël ou les journées portes ouvertes aux familles, sont l’occasion de réaliser des photos où apparaissent les enfants des salariés. Là encore, il est impératif de recueillir l’accord écrit des deux parents avant toute diffusion, même en interne.
La prise de vue doit se faire dans le respect de la dignité de l’enfant. Les photos à caractère sexuel sont strictement prohibées. Dans le doute, mieux vaut flouter les visages des enfants ou ne pas les publier. Un simple hashtag #AvecLAuthorisationDesParents sur les réseaux sociaux ne suffit pas.
Droit à l’image et RGPD : quelles obligations pour l’entreprise ?
Avec l’entrée en vigueur du RGPD, le droit à l’image s’est enrichi d’un nouveau fondement : la protection des données personnelles. En effet, la photographie est considérée comme une donnée à caractère personnel dès lors qu’elle permet d’identifier la personne représentée.
Sa collecte et son traitement par l’entreprise doivent donc respecter les grands principes du RGPD :
information préalable des personnes concernées
recueil du consentement exprès
finalité déterminée et légitime
proportionnalité et minimisation des données
durée de conservation limitée
sécurité et confidentialité des données
Concrètement, avant de prendre et de publier la photo d’un salarié, l’entreprise doit :
L’informer de l’utilisation qui sera faite de son image et obtenir son accord écrit via un formulaire dédié. Ses droits (accès, rectification, opposition, effacement) doivent lui être rappelés.
N’utiliser son image que pour la finalité définie et ne pas la conserver au-delà de la durée nécessaire.
Sécuriser l’accès à ces images et s’assurer qu’elles ne seront pas divulguées à des tiers non autorisés.
Lui permettre d’exercer ses droits, notamment d’accéder à son image, de s’opposer à son traitement ou d’en demander l’effacement.
Le non-respect de ces règles expose l’entreprise à des sanctions de la CNIL pouvant aller jusqu’à 4% de son chiffre d’affaires. Il est donc essentiel d’adopter les bons réflexes RGPD dès lors que l’on manipule des photos de salariés.
Et après ? Les bonnes pratiques à adopter
Au final, le droit à l’image est un sujet complexe qui appelle les entreprises à la plus grande vigilance. Pour éviter tout contentieux et utiliser l’image de ses salariés en toute quiétude, l’employeur a intérêt à :
Informer et sensibiliser ses salariés sur leur droit à l’image dès l’embauche. Ce point peut utilement être abordé dans le règlement intérieur ou la charte informatique.
Désigner et former un référent chargé de la collecte des autorisations et de la gestion des photothèques de l’entreprise. Il s’assurera du bon respect des procédures par tous les services.
Mettre en place un formulaire type d’autorisation de droit à l’image, à faire signer systématiquement avant toute prise de vue. Bien conserver ces autorisations tout au long de la durée d’utilisation prévue.
Sécuriser l’accès aux photos et vidéos des collaborateurs, en les stockant dans des dossiers dédiés avec accès restreint.
Solliciter l’avis des représentants du personnel avant de diffuser des photos à large échelle (site web, réseaux sociaux…). Ils pourront relayer les éventuelles réticences des salariés.
Dans le doute, toujours privilégier des prises de vue où les collaborateurs ne sont pas identifiables (de dos, en groupe, floutés…). Éviter les gros plans sans autorisation.
Réagir rapidement en cas de demande de retrait d’un salarié et ne pas attendre un contentieux. Retirer la photo litigieuse dans les plus brefs délais.
Avec ces bonnes pratiques en tête, le droit à l’image des salariés ne sera plus une source de stress pour l’entreprise. Il est possible de concilier le respect de la vie privée des collaborateurs et les besoins de communication interne et externe.
L’essentiel est d’instaurer un climat de confiance et de transparence. Dialoguer en amont avec les salariés sur l’usage de leur image, c’est la clé pour éviter les déconvenues. Une communication visuelle réussie est celle qui valorise le capital humain de l’entreprise, tout en respectant l’intégrité de chacun. Un véritable défi à l’ère du tout digital !